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La Macula Lutea | coline termash
13 octobre 2011

Le chat qui inquiète à 7 h en attendant 5 h

 

chat1

 Les Euménides :
« Il se fait rendre
de terribles comptes,
le Prince des morts, là-bas sous la terre,
et dans son grand Livre,
son œil vigilant ne laisse rien perdre. »

 

 

Cela devenait lassant.

Au café du village, je buvais un lait américain très sucré et brûlant. J'étais  seule car il était trop tôt pour les joueurs de tavli.

Je voulais le calme  afin de finir cet article de commande dont la rédaction m'échappait totalement alors que l'idée générale était aussi simple que un et un font deux.  J'avais du travail et il me tardait de le finir.  Mon attention était toute retenue par la feuille blanche et le bois verni bleu, taché par la cendre des Karelia. Je sentais confusément l'inquiétante diffusion d'une présence clandestine qui lentement me renvoyait au rôle d'appartenance à une petite escorte piégée au fond d'une vallée profonde. 

Je levai la tête. Les grillons multipliaient les piqués d'aviation militaire sur les pierres du cimetière. Les oiseaux du clocher sans plus de cloche, ni de toit pour cause de travaux éternels, crépitaient sur les fils de l'O.T.E.  comme pour faire passer un message au centre de leur bazar à plume. Je ne pouvais être l'unique public d'un tel renversement des rôles.  Au fur et à mesure de ces démonstrations bruyantes qui traduisaient le refus par ces parties du partage de la place centrale, mon trouble s'accroissait et je commençai à danser sur ma chaise. Qui pouvait battre de la sorte les cartes du sens et perturber les règles d'un jeu que je connaissais pour n'être jamais désorganisé sur le damier d'ombre et de lumière de ces matins-là ? 
Je patientais pour plus de calme et m'amusais du premier soleil, petite fabrique diamantaire qui, par les fenêtres de l'église, renvoyaient les géométries épileptiques des avis de décès sur un sol déjà chauffé à blanc. 

C'était apparent en apparence.

Je décidai de disparaître par la coulisse principale, c'est-à-dire ma chambre, d'autant que l'odeur des citronniers de septembre se faisait brusquement plus âcre et quittait le cœur du monde ; c'est alors que l'idée qu'un intrus possible pouvait être présent me fit tourner le regard vers la terrasse sous laquelle je m'étais si sereinement placée. 

Il était installé en capitainerie et s'était enroulé autour de son mirador de chaise et de coussins tissés, sergent-serpent à poil, fauve de pas beaucoup, qui fichait par terre cette matinée que j'avais voulue identique aux autres, à savoir productive. Il était officier des terrasses nocturnes, ramasseur de rats et de cloportes et se gavait de sa terreur propagée. De sa grande chaise, il lâchait sur les éclats de rire du cantonnier tout juste sorti du lit, ses visions de l'enfer qu'il avait retenues lors de ses cauchemars de la veille ; une insomnie clouée sur sa paille et ses tissus, des quart d'heure à pleurer ses monstres qui, fatigués de le suivre, volaient vers l'hélium et le nain jaune  tout en voulant rejoindre la nuit. Et bien que les femmes averties aient fait brûler l'encens et la sauge, au bord de leur fenêtre grande ouverte, les tomes de l'Hadès s'ouvraient sur les tables de fer, imprimaient les façades closes sur les sommeils drapés de blanc et de convoitise, se déchiraient le cuir de la reluire sur les ifs du jardin des morts où les enfants avaient laissé un ballon de plastique rouge poussé par le vent des collines.
Son œil était sur le côté de mon côté.

Atteindre mon départ. Atteindre mon sac de toile. Dresser ma nuque en col devant son sommeil cyclopéen. La bouilloire de Maria faisait une mélodie de bastringue à taverne pleine qui orchestrait oiseaux et grillons toujours  de plus en plus à coté de la plaque. 

C'est alors que,  prise d'envie du spectacle infini de Karaghiosis,  je restai avec le Maître des Enfers pour attendre ensemble le chœur des  baigneuses, impatientes de glace à la vanille, insouciantes des diables volants et qui riraient, nous le savions tout deux,  sous leur chapeau de toile usée par la mer et le sable.

Elles arriveraient à 5h. 



© Coline Termash

Droits Réservés
Reproduction interdite sans l’autorisation de l’auteur

 

notes-liens :

Tavli/Kafenío

Karaghiosis

Hadès

Karelia : marque prestigieuse de cigarettes grecques

 

 

A lire Tsitsanis et l'Olivier qui parle (catégorie Les Reportages)

 

 

 

 

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